Wednesday, February 17, 2010


SHO-BÔ-GEN-ZÔ


Chorégraphie et scénographie : Josef Nadj

Sur scène, un décor stylisé évoque la porte d'un temple avec la sobriété d'une cage de Hockey ...

A moins qu’il ne s’agisse d’un cadre de montreur de marionnettes à l’échelle humaine ?

Joëlle et Akosh sortent latéralement, pour ne pas dire littéralement ...de l'ombre et enfourchent leurs montures, c'est on le devine, contrebasse et saxophone dont il s'agit ...

Comme une antique Norton, démarrage immédiat en deux temps ! ...

La puissance est nette, sont ils deux sur la moto ou bien s'agit-il d'une course à deux poursuivants ?...

Attaques incisives, successions et recouvrements, une composition forte et splendide amorce la pièce avec la précision d'un lanceur de satellite, le climat est solidement posé, circonscrivant le décor.

Bien sur, en conséquence, l'être hybride qui s’extrait des rideaux du temple, propulsé par les sons d'un monde naissant, n'est pas tout à fait au point ... Tête et extrémités supérieures de ronen à moins qu'il ne s'agisse d'un vrai Samouraï mais cela me semble improbable ... avec un costume de terrien standard.

Derrière le socle, surgit un masque, cela appelle l'onagata mais on sent bien que là aussi quelque chose cloche ...on voit la femme sous le masque et dans le kimono ...

La créature martiale ponctue le temps tandis que le masque sors des manches du kimono les éléments d'un jeu de chasse au renard ...C'est que ...disons qu'une lecture hâtive du Shôbôgenzô associé à quelques bizarreries de traduction peuvent évoquer sans coup férir un manuel de radio amateur dans sa version coréenne ! ! ...

Qu'importe la créature marque le tempo les musiciens tissent leur univers avec précision et continuité, cela semble s'ajuster comme le commencement d'un puzzle dont l'amoncellement de pièces identiques nous aspire dans la spirale de la perplexité...

Nadj et Cécile Loyer, c'est l'éclosion de la danse version labyrinthe de l'urbain, cela commence par saccades, voltes et positions, cela finira par une ébauche de langage en passant par de vrais donc faux, sentiments, à ce titre, l'accaparement des objets-chaises est particulièrement accompli, jusqu'à les transformer en gourdes dont l'eau jaillit comme d'une source fraîche ...

L'apprivoisement ,scandé avec minutie, des ces encombrants objets transforme l'espace en récit d'aventures tandis qu'entre les nappes ostinato de la contrebasse, s'infiltrent les traits de clarinette, de sax ou de percussions sèches ...

Il y a bien une tentative de résolution métaphorique de l'énigme par l'apparition d'un petit théâtre de marionnettes, redoublant le décor dans une troublante perspective, avec la trituration d'une figurine, au départ licorne, du moins dans ce qu'évoque sa silhouette qui au prix d'un malaxage qui semble l'enlier dans les sonorités, devient une forme suggérant l'humain qui va tenir un temps entre ses mains le miroir du Karma ... sur lequel la poussière que l'on est en droit d'attendre va se déposer mais ...

Non bien sur ! ! Ce sont des micro billes qui rebondissent sur sa face inclinée, réflexion totale et parfaite sans la moindre trace (Kokyô : chacun [des anthropoïdes] porte une face du miroir ancien)

Le montreur de marionnettes disparaît avec son théâtre.

S’il y a une référence à mettre en rapport avec l’ouvrage fondamental de Maître Dôgen, c’est du coté du temps (Uji) qu’il faut regarder. Le rapport à la temporalité, de ce “temps qui est là” et qui se fige ou s’accélère suivant que le courant qui nous emporte devient fort ou faible. Ainsi, la figure du Samouraï évoquée au début et qui n’est qu’un regard dure et s’enlise dans une temporalité dense, peuplée de sons puissants qui découpent son espace, alors que dans les tableaux suivants, on assiste à un séquençage minutieux par la gestuelle, d’où la durée semble exclue par la dynamique et comme ponctuée par des arrêts sur image hors du temps. Ponctuation aussi à plusieurs reprises par l’évocation de l’écrit, billets sortants d’enveloppes, tenus de dos, en attente d’une possible écriture, où le dévoilement tient lieu de lecture.

Il faut nécessairement avoir l’œil de la lecture pour pouvoir lire …( Bukkyô : Les Sutras) Et, sans doute, l’œil de la vision pour entendre et voir ce qu’il en est de cette (remarquable) création.

[Pas de deux]

La précision et la force avec laquelle la chorégraphie se maintient sont remarquables, il faut dire aussi que cela se happe, avec un à propos rarement atteint, à la musique qui, pour être faite par des « improvisateurs hors pairs » n’en est pas moins construite méticuleusement avec une structure propre à chaque tableau et leur conférant une atmosphère minutieusement installée (Pour des raisons de lisibilité, j’ai décidé d’évoquer seulement l’orée de quelques scènes, qu’on pourrait décrire précisément avec la musique qui l’installe…)

Il y a notamment, ce morceau épique qui commence dans la sobriété avec quelque pizz de contrebasse et qui progressivement se transforme en chaos avec un déluge de matériaux de plus en plus consistants, tombant sur scène, enfouissant la danseuse, puis, de ce bric à brac, les danseurs se transformant en démiurges, se munissent de chaussures, entament un rituel purificatoire dont la forme lointaine n’est pas sans rapport avec le présentation des sumotori …Puis disparaissent emportant leurs traces …

Il y a aussi ce surprenant tableau où, sur des panneaux latéraux, naissent des formes chaotiques de diffusion d’encre dans l’eau avec la force d’évocation du microcosme d’une improbable zoologie …

Bien sur, la dernière scène se termine et clos la pièce par l'irruption des deux idiots célèbres Kansan et Jittoku emportant leurs chaises, apparition/disparition magique dans l'univers de la peinture zen la plus traditionnelle et monstrueux clin d'oeil à ce qu'il nous manque de lumière pétillante et joyeuse dans le regard pour qu'enfin la prunelle crève et que du regard intérieur jaillisse la compréhension jubilatoire des conditions de notre vie vraie.

C.P

SHO-BO-GEN-ZO

Chorégraphie et scénographie : Josef Nadj

Composition musicale : Joêlle Léandre et Akosh Svelevényi

Danse : Cécile Loyer et Josef Nadj

Au théâtre de la Bastille, le 27 Janvier.

Notule : Le titre de cette pièce semble faire référence au “Shôbôgenzô“, œuvre majeure de Dôgen (1200-1253) fondateur de l’école Zen Sôtô au Japon. Œuvre difficile d’accès, écrite en sino-japonais, poétique, comprenant quelque 92 textes. Il existe une traduction en Français (excellente) par Yoko Orimo (ed Sully) et trois ou quatre en Anglais.

Ce titre que je traduirais par : “le Dharma direct(est le) trésor de l’œil“, que l’on traduit plus élégamment par « La vraie Loi, trésor de l’œil » évoque la transmission directe par le Bouddha à Kâçyapa …

Un des textes de cette œuvre (Muchu setsumu : discourir du rêve au milieu du rêve) pourrait servir d’exergue à cette pièce magistrale de Josej Nadj :

« L’univers entier qui se dévoile comme la rosée est un rêve ! Ce rêve n’est autre que cent herbes réfléchissant le soleil et la lune. C’est précisément ce qui vous incite à douter, ce qui vous paraît pêle-mêle. » Dogen (Mûtchu setsumu)

C.P

1 comment:

Association Stanislas Rodanski said...

Monsieur,

Vous nous avez contacté via le blog de l'association Rodanski, mais votre mail n'apparaît dans votre commentaire. Je me permets de vous recontacter via cette page. Pouvez-vous nous écire sur le mail de l'association, que vous trouverez sur le blog, dans la colonne de droite ?
En vous remerciant de votre attention,
L'Association Stanislas Rodanski.